Nos études sur la vérification de l’authenticité d’œuvre du début du XXe nous amène toujours à redécouvrir les innovations dans le domaine de la chimie.
Ces innovations permettent de marquer les utilisations des pigments et donc d’évaluer l’authenticité d’une œuvre à travers ces jalons du temps.
La recherche dans les bases des brevets scientifiques et des données des études scientifiques des œuvres des premières années du XXe siècle permet d’enrichir nos connaissances sur l’utilisation de ces pigments précurseurs.
L'histoire du rouge de cadmium commence avec la découverte du cadmium en 1817 par les chimistes allemands Friedrich Stromeyer et Karl Samuel Leberecht Hermann. Le cadmium, un métal rare et relativement peu abondant, est principalement extrait des minerais de zinc, car il est souvent présent sous forme d’impuretés dans ces derniers.
Le physicien et chimiste Gay Lussac l’étudia à partir de 1818, dans ses cours à l'Ecole Polytechnique en 1820, il indique « Depuis 3 ans on a découvert un métal qui a reçu le nom de cadmium. Il est fusible comme l’étain. Il se dissous très bien dans un disque de verre combiné avec de l’oxygène, il forme alors un corps jaune ».
Nous avons repris les premiers brevets afin de rechercher ceux faisant mention de rouge de cadmium[1] :
- Le rouge de cadmium est un pigment breveté à partir des années 1920 notamment pour une utilisation de pigment de céramique. A cette période, le séléniure de cadmium (CdSe) est généralement produit comme un co-précipité avec des sulfates métalliques, tels que le sulfate de baryum (BaSO₄), en mélangeant des solutions de sulfoséléniure de baryum et de sulfate de cadmium. Ce type de procédé présentait cependant de nombreuses difficultés pratiques ;
- Les premiers brevets américains et européens sont dédiés à des rouges orangés qui sont essentiellement des rouges de cadmium à base de sulfide de cadmium auquel est ajouté une certaine mesure limitée de sélénite de cadmium ;
- Les rouges et oranges de type sulfoselenite sont une seconde série de pigment basé sur le sulfite de cadmium. Ils sont essentiellement des sulfites de calcium en solution solide dans une matrice hexagonale. En augmentant la proportion de selinite de cadmium, la teinte rouge devient plus profonde. Ces synthèse sont connus depuis les années 1920.
Au vu de son intérêt stratégique pour la fabrication des pièces électronique, l’apport et le coût du sélénium devient plus accessible à partir des années 1940-1950. Un ensemble d’amélioration du procédé de synthèse déposé par brevet au fil des années conduit à une production plus accessible de pigment rouge de cadmium plus pur, plus vif et moins orangé.
Une deuxième voie pour évaluer la date d’apparition du rouge de cadmium en fonction de sa voie de synthèse est l’étude de référence de pigment rouge et d'oeuvres du début et milieu du XXe siècle.
Nous avons mené une étude à partir de recherche :
- A partir de centaines de référence de pigments rouges dans les années 1910-1950 provenant de pallettes utilisés de peintre, de nuancier d'époque, ainsi que d'impression et de pigments de référence provenant d'Europe et des Etats-Unis. Au total plus de 200 références ont été analysées. Nous n'avons pas mis en évidence de Rouge de Cadmium avant les années 1930 et aucun pigment Rouge Vif n'est à base de Rouge de Cadmium.
- La recherche ciblée de données sur des rapports d'étude d'oeuvres datées entre les années 1900 et 1990, le pigment rouge de cadmium était principalement appliqué sur une zone de restauration. 2 œuvres contenaient dans sa matière picturale un rouge de cadmium (rouge vif) de type sulfoselenite : elle étaient datées de 1955 et 1973.
Une recherche est également effectuée sur les œuvres des artistes Pablo Picasso (1881-1973) et Henri Matisse (1869-1954) ayant une production sur une période et une zone géographique européenne/France (recherche sur des rapports numérisés sans recherche de mots clés possible). Les données récoltées sur l’utilisation d’un pigment au cadmium par ces artistes, sur des œuvres étudiées et analysées au C2RMF par spectrométrie à fluorescence X, sont les suivantes :
- Les œuvres d’Henri Matisse des années 1910-1920 ne contiennent pas du Rouge de cadmium mais contiennent bien du Jaune de cadmium ;
- Les œuvres de Pablo Picasso des années 1910-1930 examinées peuvent contenir des Rouges de cadmium de teinte orangé (à partir de 1931) ;
En somme, la commercialisation du rouge de cadmium dans les années 1910-1920 et son adoption par les peintres de l'époque sont bien documentées, tant dans les archives industrielles que dans les analyses scientifiques d'œuvres d'art.
Etude de cas :
Nous traiterons ici le cas du Rouge de Cadmium que nous avons mis en évidence dans une œuvre datée de 1913 selon les documents de provenance qui sont associés à l’œuvre.
L’œuvre est observée sous différent éclairage, imagerie et sous macro/microscopique opto-numérique. La matière picturale est ensuite analysé par spectrométrie à transformée de Fourrier et par spectrométrie à fluorescence X. Ces méthodes permettent de mettre en évidence la nature des pigments organiques et inorganiques, du vernis et des liants.
- Les analyses chimiques ont mis en évidence du Soufre, du Cadmium et du sélénium avec une absence de baryum sur une zone de la matière picturale de teinte rouge intense avec une saturation élevée ;
- Un prélèvement est effectué pour mettre en évidence la nature des grains du pigments en laboratoire par MEB-EDX et diffraction X.
Les études et recherche bibliographiques en amont sont mis en parallèle de ces constatations qui ne sont pas concordantes entre elles :
- Absence d’historique sur l’utilisation d’un pigment de rouge de cadmium dans les années 1910 ;
- Teinte du pigment (rouge vif, non orangé) orientant vers une voie de synthèse postérieures aux premières productions de pigment de rouge de cadmium ;
- Présence significative de Sélénium, absence de baryum… : confirme l’hypothèse d’une voie de synthèse postérieure aux années 1920.
Pour en savoir plus :
- Ces conclusions sont un maillon de la conclusion générale qui prend en compte de multiples élements comme cet article paru dans la Jaune et la Rouge le mentionne: Le faux artistique en sciences criminalistiques - La Jaune et la Rouge (Anna Tummers, Violaine de Villemereuil)
- Le Rouge de Cadmium n'est pas le seul pigment de synthèse des années 1920 à être utilisé comme marqueur d'une période de production d'une oeuvre : le célèbre Blanc de Titane en fait également partis : Le blanc de titane et l'examen d'authentification - OSE SERVICES (ose-services.com)
[1] Source : US2248408A - Method of making cadmium red pigments - Google Patents ; 1498393753086052192-02115739 (storage.googleapis.com); PL7450B1 - A method of producing dyes from the range of anthanthrone. - Google Patents
(PDF) Research and Development of Cadmium Sulphoselenide Red Pigment (researchgate.net) ; Huckle WG, Swigert GF, Wilerley SE. Cadmium Pigments. Structureand Composition[J]. Industrial & Engineering Chemistry ProductResearch and Development, 1966, 5(4): 362-366
(PDF) Research and Development of Cadmium Sulphoselenide Red Pigment. Available from: https://www.researchgate.net/publication/287432522_Research_and_Development_of_Cadmium_Sulphoselenide_Red_Pigment [accessed Aug 25 2024].